
Combien « valent » les services écologiques que nous rendent les écosystèmes de notre planète, comme la filtration naturelle de l’eau, par exemple? Notre culture, à titre de pays développé, ne nous incite pas à nous poser ce genre de question. Pourquoi? On peut y réfléchir en examinant quelle éthique guide notre rapport à l’environnement.
Une question de valeurs
Les valeurs dans lesquelles nous baignons confortablement chaque jour comme partout en Occident viennent avec l’essor économique qui caractérise notre développement (souvent non durable). Pensons en particulier à l’utilitarisme (les ressources naturelles sont à mon service, elles ont une valeur parce que je peux m’en servir). Face aux excès induits par ce système centré sur l’humain ou anthropocentré (je ne fais pas partie de la nature, j’en suis maître), des propositions éthiques écocentrées existent (j’ai besoin de l’eau, de l’air et de la terre pour vivre; en retour, mes actions ont des conséquences sur mon écosystème). Quelles sont ces propositions?
Elles ont ceci de rafraîchissant qu’elles soulignent le lien nécessaire entre l’humain et la terre – à savoir le sol même. Chez Aldo Leopold, par exemple, la santé de l’espèce humaine est étroitement liée au sol et à ses propriétés. L’eau est filtrée par le sol, les plantes qu’il mange sont ancrées à la lithosphère, comme l’ensemble des animaux. Le fait de vivre éloigné de la terre entraîne donc une difficulté à y accorder une valeur autre que financière, alors que, pourtant, l’humain est partie prenante de l’écosystème. Il est ancré dans la lithosphère comme les autres espèces.
Environnement, beauté et culture
J’aime particulièrement le fait que Leopold intègre le sentiment esthétique à son éthique de l’environnement, qu’il résume ainsi : « Une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique (la communauté des êtres vivants). Elle est injuste lorsqu’elle tend à l’inverse », écrit-il (Almanach d’un comté des sables, trad. française : Aubier, 1995, p. 283). Lorsqu’on connaît son environnement, lorsqu’on marche sa terre, sa forêt, sa rivière, son marais, son parc, on y porte attention. On s’y attache. On a envie de protéger ce milieu comme on protège son propre bien, finalement.
Doit-on pour autant se prendre dans un conflit insoluble entre anthropocentrisme et écocentrisme? Non. Kelly A. Parker, par exemple, rappelle que la pluralité des biorégions du monde va de pair avec la pluralité de la culture elle-même. Ainsi, protéger une culture disons locale (un ensemble de savoirs, de conceptions) contribue à préserver sa biorégion d’origine. C’est une autre façon de concevoir le lien étroit entre l’humain et la nature. Pour sortir de la crise environnementale, une attitude pluraliste vis-à-vis des diverses expériences humaines est tout indiquée.
La question que vous attendiez, en terminant : est-ce juste et responsable de satisfaire ses besoins et désirs au détriment de l’équilibre des écosystèmes de la planète (ces systèmes qui abritent la vie), simplement parce qu’on en a la capacité technique ou financière? À chacun de plonger dans son expérience de la nature, de regarder autour de soi et d’y réfléchir sérieusement!